Dans un passé relativement proche, on chassait le surfeur comme on part à la chasse au gibier. Le nuisible, au fil des saisons, pouvant être n’importe qui, le surfeur trouve parfois un instant de répit.
Le triptyque « Manif pour Surfer » (linogravure monotype (18 cm X 13,5)X3)) est disponible – 60€ sous verre – livrable sur Morlaix et les environs ou par envoi postal avec 5€ de frais de port.
« La pupille dilatée, les sens aux aguets, elle tend l’oreille. Tapis dans l’angle du mur, elle attend. Sa main se resserre sur le manche de son arme. Elle ne doit faire aucun bruit, elle le sait. Le moindre craquement, grincement, pourrait révéler sa position et sonner son glas. Il faut garder son calme, ne pas trahir sa présence malgré l’adrénaline battant et gonflant ses veines. Ralentir le rythme cardiaque, calmer l’emballement de son cœur en chamade. Tenir sa position, à tout prix. L’ennemi est proche, très proche. Elle le sent, devine sa présence. Elle ne peut pas le voir mais quelques instinctives sensations, venant du plus profond de ses tripes, lui sussurent qu’il pourrait n’être qu’à quelques centimètres d’elle, peut-être même de l’autre coté de l’angle du mur. Il faut y aller, il faut avancer, ne surtout pas laisser la peur entraver l’issue de ce combat. Il n’y aura pas de pitié, elle le sait, il ne faudra pas hésiter non plus, au moment de porter son coup. Il se devra d’être fatal et elle n’aura aucun remord. Comment pourrait-elle vivre autrement, après quelques milliers de victimes. Nul ne l’appellera « Monstre ». Et sachez que personne n’agirait différemment si l’on devait un jour se retrouver à sa place. C’est elle ou lui. Sa chaleur corporelle pourrait aussi la trahir. Elle conditionne son souffle, canalise son énergie dans les gestes les plus importants, gommant la vie hors des membres n’en ayant pas besoin. Faire baisser son rythme cardiaque au plus bas, tels le faisaient les ninjas d’autre fois. Devenir ombre. La mort en permanente quête d’innovation, poussant, dans ses derniers retranchements, l’audace de qui la porte en soi. Un bond, vif, propre, net et précis. Sa victime n’a rien vu venir. Elle gît au sol. Inerte. Morte.
Ne pas se détendre, pas encore. Le poing se resserre encore plus fort sur son arme. Une vibration dans l’espace-vent. Un trémolo dans les airs qui trouve chemin jusqu’au creux de l’oreille. Elle n’est plus seule. Jamais. L’ennemi possède mille visages. Milles ressources pour ne cesser de nuire. Coupez en la tête et deux repousseront à la place – contait la légende de l’hydre. La sensation d’être soudainement devenue celle prise en chasse s’empare de ses tripes. Elle sent le contrôle lui échapper. Son poing se resserre encore plus. Ses yeux se plissent et si elle pouvait littéralement tendre l’oreille elle l’aurait fait. À défaut, elle tente de faire le vide dans sa tête, de faire taire le brouhaha de milles et une voix. Elle l’aurait parié. Deux de plus. Minimum. Comme dans la légende. Foutu moment de doute, où la réalité prend une dangereuse tournure fictionnelle. Le fantastique ne l’a jamais vraiment branché. Plus par peur d’y découvrir d’horribles vérités que par désintéressement du genre. Ces instants la laissent perplexe, pleine de doutes. Elle se sent perdre contrôle, à la limite de défaillir. Elle tressaute, sent une vague de chaleur s’emparer de sa cage thoracique. Un craquement. L’autre se rapproche. Un souffle dans l’air. Le deuxième est juste à côté lui aussi. Le pouls s’accélère, la panique la gagne. Elle tient son arme à deux mains maintenant, le dos plaqué au mur. Figée. Elle ne bouge plus. Transie. Les yeux mi-clos, tentant de reprendre le contrôle. Deux. Elle lui en reste deux à éliminer et ce cauchemar sera terminé. Elle les entends se rapprocher. Tout se jouera en un éclair, quelque soit l’issue du combat. Rien ne se passe encore mais l’atmosphère transpire de haine et de violence. Rage silencieuse. Elle bondit sur ses pieds. D’une main, elle assène un coup sur l’un et de l’autre, écrase son arme sur l’œil de sa proie. L’un des deux s’écroule, foudroyé par l’attaque, emporté par la mort avant même de toucher sol. L’autre a su parer le coup et tente de s’échapper pour lancer une deuxième attaque. Celle ci sera plus réfléchie, plus préparée. Il n’en aura pas l’occasion. Dans son dernier souffle, il tombe au sol, membres ballants, fauché par la cruelle dextérité de leur bourreau.
Tuer ou être tué. La loi universelle de la survie. Trois victimes de plus sur sa liste. Elle n’en dormira pas moins bien ce soir. Bien au contraire. La nuit sera calme. Une belle dernière nuit d’été, chargée d’étoiles. Elle ferme ses yeux, se gratte l’oreille puis l’épaule. Se retourne et s’enroule dans son drap. Le monde des rêves commence à s’éveiller de douceur. Elle s’enfonce un peu plus dans le coma de son sommeil, se détend, elle est bien. Presque plus rien en elle ne répond présent. Endormie. Vulnérable aussi. Mais elle n’y pense pas. Rideaux.
Il est trois heures du matin quand elle se réveille en sursaut. Elle vient de les entendre. Ils sont tout proche, lançant leurs attaques jusque dans le repos sacré. Nulle trêve ne viendra apaiser cette guerre sans pitié. Sa main aussitôt s’empare de son arme. La pupille dilatée, les sens aux aguets, elle tend l’oreille alors que ses doigts se replient sur le manche de la tapette à moustiques. Maudits moustiques. Maudits marais derrière la plage. Quelle idée de vouloir dormir à la belle étoile. Tout ça pour surfer à l’aube. Faut vraiment être con. Putains de moustiques… »
Le Troubadour.